Interview Jérôme Beyaert : « 25 ans à étudier les grues cendrées et elles me fascinent toujours autant »

Jérôme Beyaert, ornithologue naturaliste depuis 35 ans et spécialiste de la grue cendrée depuis presque autant, nous parle de cet oiseau si particulier.

grues cendrées
Haute sur pattes (1,20 m), la grue cendrée, qui pèse entre 4 et 5 kg, possède une envergure de 2 mètres, ailes déployées. ©sharkolot – Pixabay
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Le plus grand échassier d’Europe est de retour ! On le voit survoler le Lot-et-Garonne et le Sud-Gironde. On le repère par son cri et son vol caractéristique en V. Certains individus passent même l’hiver ici, en Sud-Gironde et dans les landes de Gascogne. Un moment toujours très attendu par Jérôme Beyaert, guide ornithologue. Rencontre.

Jérôme Beyaert, ornithologue.
Jérôme Beyaert, ornithologue.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à cet oiseau ?

Jérôme Beyaert : Je suis tombé dans le chaudron de l’ornithologie tout petit. Grâce à mon père. Il a toujours été sensible à la nature, il a toujours fait son potager, il mettait un peu à manger pour les oiseaux l’hiver. Il ne cherchait pas à forcément à les identifier mais ça lui faisait plaisir de les voir venir à sa mangeoire.

Moi, j’ai pris une paire de jumelles et j’ai commencé à apprendre à les reconnaître.

Jérôme Beyaert

Et après avoir fait le tour de ce qu’il y avait dans le jardin, je suis sorti, j’ai fait la même chose dans les champs, autour des lacs, dans les marais de Dunkerque, de Saint-Omer et puis ensuite avec les oiseaux de bord de mer, la migration, des trucs comme ça. Si bien que j’ai poursuivi mes études dans ce domaine.

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Quels sont les critères pour reconnaître cette « dame grise » ?

C’est un oiseau très grand, avec un long cou. Son plumage est majoritairement gris, avec un peu de blanc et de noir sur le cou. Elle a aussi une petite zone rouge au sommet du crâne et les jeunes sont plus petits et bruns. 

Et qu’est-ce qui vous attire le plus chez cet oiseau ?

C’est un oiseau qui est plein de symboliques. Même si on n’est pas ornitho, même si on n’est pas naturaliste, dès qu’on entend des grues, ça fait quelque chose. Elle annonce l’arrivée du printemps, puis l’automne et le froid. Elles sont grandes, ça fait du bruit, ça fait une formation curieuse en V, dans le ciel. On lui attribue énormément de symboles et du coup, elle touche tout le monde. C’est quand même un des seuls oiseaux à avoir sa constellation dans les étoiles !

grues cendrées
Rassemblement de grues cendrées, à l’automne. ©©Abel Agnès – Le Républicain Sud-Gironde/Gilo Nature

Quelles autres symboliques ?

Elle a été estampillée sur la monnaie romaine, en Chine elle symbolise la justice… Tout le monde connaît la grue. Elle est présente sur tous les continents. Il y a la grue du Canada et la grue du Japon qui sont très populaires. Quel que soit le continent, il y a un lien entre cet oiseau et les peuples. Au Japon et en Chine, la grue désigne des positions de karaté et de yoga aussi…

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Est-ce que vous vous souvenez de la première fois que vous avez vu des grues et de ce que vous avez ressenti ? 

Je suis ornitho, du coup c’est compliqué : moi, dès que je vois un oiseau… (il hausse les épaules, avec un large sourire aux lèvres).

À chaque fois, c’est une émotion de les voir passer !

J.B.

Elles me fascinent toujours autant. J’ai vu deux vols hier matin, 50 oiseaux sont passés au-dessus de la maison. Le lever de soleil les a éclairées, c’était magique : avec leur cri, la formation en V...

Même après toutes ces années, vous êtes toujours aussi impatient et heureux de les voir passer ?

Toujours ! Et pour la petite histoire, j’ai rencontré mon ex-femme sur une sortie grue. Nous avons eu une fille ensemble qui a 18 ans. Donc même pour moi perso, cet oiseau symbolise beaucoup de choses. Bref, depuis toutes ces années, c’est toujours le même engouement. Je pense que ça ne me passera jamais.

Jérôme Beyaert, sa bio express

 » Ce qui m’anime, c’est de partager des moments de nature privilégiés, de réapprendre à prendre le temps de contempler, de voir et revoir, d’entendre, de sentir et d’observer sous des angles différents la nature « . Tombé dans le chaudron de l’ornithologie tout petit, Jérôme Beyeart s’est très vite passionné pour cette pratique. Originaire du Nord (de Dunkerque), avec son BTS gestion et protection de la nature en poche, il migre vers le Sud-Ouest pour travailler en tant que guide à la réserve du Teich pendant 8 ans, sur le bassin d’Arcachon. Puis, à la LPO Aquitaine pendant cinq ans avec diverses missions comme l’éducation à l’environnement et les suivis de site d’oiseaux migrateurs : à la pointe de Grave et au Cap Ferret. C’est à cette époque qu’il obtient un Brevet d’état d’animateur en éducation Populaire (BEATEP) éducation environnement. Il crée ensuite la première et unique ferme pédagogique itinérante en Aquitaine. Et depuis 15 ans, en tant que guide ornithologue indépendant, il propose des sorties nature accompagnées, pour des groupes, des familles ou en individuel. Contact : 06.80.94.54.02. photo © Delphine Decourcelle

Leur arrivée sur le secteur a été un peu tardive, semble-t-il, cette année ?

Oui, habituellement les premières arrivent fin octobre, là elles se sont fait attendre quelques jours car les températures restaient douces… Finalement, elles ont pointé leur bec ici en novembre.

Les grues se reproduisent dans le Nord de l’Europe et à l’automne, elles se rassemblent et entament un long voyage qui les conduira vers le sud.

J.B.

Et sur le chemin, elles traversent notamment la France en diagonale. 

Et elles font des haltes dans le coin ?

Oui, elles ont plusieurs endroits de prédilection (lire l’encadré ci-contre). Elles viennent d’Allemagne, des pays baltes, de Scandinavie, de Norvège, de Suède… Nous avons quelques Polonaises aussi parfois. Dans les années 70 et 80, il y avait 60 000 grues qui passaient au-dessus de nos têtes. L’an dernier, environ 279 000 ont rejoint l’Espagne, dont 63 700 ont séjourné dans le Sud-Ouest (Landes, Gironde, Pyrénées Atlantiques).

Sur ces territoires, elles profitent des refuges que leur offrent des grandes zones humides (tourbières et marais) pour dormir, et des champs moissonnés et cultivés pour se nourrir. Beaucoup d’oiseaux partaient en Afrique du Nord dans les années 80, mais avec les hivers de plus en plus doux, elles s’arrêtent de plus en plus en France et en Espagne.

Pourquoi ces changements ?

Pour plein de facteurs. Déjà, elle est une espèce protégée depuis les années 70, et la grue est aussi un oiseau hyper opportuniste. Elle se nourrit de céréales (maïs), de racines, de plantes, d’insectes…

Pour se nourrir, elle s’adapte très bien, selon ce qu’elle trouve.

J.B.

Elle trouve aussi davantage de nourriture pour élever ses petits, avec les printemps plus longs. Sur les sites de nidification, dans les pays nordiques, c’est de la protéine animale (lézards, escargots, batraciens, poissons…) En Champagne, c’est le maïs et la pomme de terre ; chez nous principalement le maïs, et pour celles qui vont jusqu’en Espagne, ça peut être du gland sous les chênes verts et même des olives !

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Combien de temps vivent-elles ?

Elles peuvent vivre jusqu’à 20 ans en moyenne, mais il arrive que certaines aillent jusqu’à 30 ans ! Ce sont des détails qu’on peut donner parfois en temps réel lors de visites avec le public, si elles ont été baguées. Je peux repérer le numéro de la bague à leur patte, avec les jumelles, et immédiatement, via une application sur le téléphone portable, on peut voir une carte avec tous les points où elle a été observée précédemment. C’est fabuleux !

Et vous ne vous intéressez qu’aux oiseaux ?

Non, pendant des années, je me suis aussi beaucoup intéressé aux papillons et aux libellules. Et encore aujourd’hui, dès que j’en vois, je les observe à la jumelle. Les mammifères également m’intriguent, la loutre notamment. Durant des années, j’ai effectué du suivi pour cet animal quand j’étais au parc naturel, sur la Leyre.

Et sur les à-côtés, les grands lacs landais. Et du coup, après, le cerf, le renard, le blaireau… enfin tous les animaux que l’on a dans nos forêts. Les chauves-souris aussi. Sans parler de la montagne, avec sa faune et sa flore exceptionnelles !

Quels sont vos projets ?

Un projet qui était un rêve et qui va sûrement prochainement devenir réalité : suivre le trajet des grues, faire la migration avec elles ! Je suis déjà allé les voir sur des sites de nidification, en Espagne, mais là ce ne sera pas pareil. Je partirai sur les routes avec mon camion aménagé, pour les accompagner de l’Espagne jusqu’à leur site de nidification, quand elles remontent et inversement quand elles redescendent, pour voir un peu par où elles passent, comment ça se passe… C’est vraiment un rêve fou mais j’aimerais tellement les suivre !

Avec Gilo, une pause nature !

Gilo, le rendez-vous des amoureux de la nature, est un cahier spécial de quatre pages publié une fois par mos, chaque premier jeudi du mois, dans les éditions papiers des journaux Le Républicain Lot-et-Garonne (47) et du Républicain Sud-Gironde (33) (ou en édition numérique ici : https://cutt.ly/pKtqX7i).

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