Grand format Les migrations des oiseaux à la loupe grâce au baguage

La réserve naturelle de l'étang de la Mazière, à Villeton, mène un suivi sur l'évolution des oiseaux sauvages en Lot-et-Garonne. Reportage.

baguage oiseaux Villeton
Un martin-pêcheur bagué lors d’un suivi réalisé en août 2023 à la réserve naturelle de l’étang de la Mazière, à Villeton (Lot-et-Garonne). ©Delphine Decourcelle – Le Républicain Sud-Gironde – Gilo Nature

Il existe beaucoup de migrations différentes en fonction des espèces d’oiseaux et des saisons. Une fauvette des jardins par exemple, pesant environ 20g (le poids d’une enveloppe timbrée) a été baguée en septembre 2013 en Norvège.

Dix sept jours après, elle était en Lot-et-Garonne, à Villeton. 1777km parcourus à vol d’oiseau !

Le suivi scientifique du baguage permet d’en savoir un peu plus sur ce phénomène incroyable. Reportage auprès de spécialistes à la réserve naturelle de l’étang de la Mazière, à Villeton. 

baguage oiseaux Réserve naturelle nationale de l'étang de la Mazière Villeton
Les visiteurs observent un pipit des arbres qui vient d’être bagué à l’étang de la Mazière. ©Delphine Decourcelle -Le Républicain / Gilo Nature

Les oiseaux que l’on va voir aujourd’hui ? Et bien, c’est un peu comme à la loterie, on ne peut pas savoir ! » prévient Julien Roi, animateur nature à la réserve naturelle de l’étang de la Mazière à Villeton (Lot-et-Garonne) et aide-bagueur bénévole.

Une activité méconnue

Comme souvent en cette saison, il guide un groupe venu découvrir une activité méconnue : le suivi des migrations par la technique du baguage d’oiseaux.

« Depuis deux ou trois ans, cette sortie a beaucoup de succès auprès du grand public et les scolaires… n’en parlons pas, le calendrier de réservations est plein jusqu’en juin 2024 ! » précise-t-il.

réserve de la Mazière
De plus en plus de visiteurs, notamment des scolaires, viennent découvrir la réserve de la Mazière. ©Delphine Decourcelle -Le Républicain / Gilo Nature

Après une petite présentation générale du lieu et de la migration par Julien, nous empruntons depuis la ferme une zone de prairie pâturée avec des moutons landais en charge de l’entretien.

Des haies vivrières pour se nourrir

Nous traversons ensuite la plantation de haies vivrières, sorte d’hôtel-épicerie à ciel ouvert pour les oiseaux.

La réserve naturelle de l'étang de la Mazière est un paradis pour la biodiversité.
La réserve naturelle de l’étang de la Mazière est un paradis pour la biodiversité. ©Delphine Decourcelle -Le Républicain / Gilo Nature

On trouve ici mûriers, cornouillers sanguins, fusains d’Europe, prunelliers et poiriers sauvages, noisetiers, ormes, érables champêtres, églantiers, sureaux…

Un paradis pour les baccivores

Bref, un paradis pour les parents de famille oiseau, notamment les baccivores (animal qui se nourrit de baies) et les insectivores.

Nous arrivons ensuite à une allée marécageuse colorée de nuances roses, jaunes et vertes de différentes plantes et fleurs sauvages : salicaire, menthe, iris, carex (laîche) et parmi les arbustes, le saule marsault (appelé aussi « saule des chèvres » indique Julien).

Nous avons ici une des plus grandes roselières du Lot-et-Garonne. Ce n’est pas la Camargue mais ce lieu est très apprécié des oiseaux

Julien Roi, animateur nature

Quelques pas plus loin, nous pénétrons dans une partie boisée humide. « Quand il y a des inondations ici, ce n’est pas de la rigolade ! Il y a deux mètres d’eau et on ne peut venir qu’en barque. C’est pour cela que la végétation y est particulière » explique Julien Roi.

baguage oiseaux RNN de la Mazière à Villeton (47).
Un hypolaïs polyglotte bagué à la réserve de la Mazière. ©Delphine Decourcelle -Le Républicain / Gilo Nature

À l’issue du bois, nous nous retrouvons au cœur de la roselière : « 30 à 40 mètres de large sur plus d’une centaine de mètres de long, soit deux à trois hectares de roseaux. Ce n’est pas la Camargue mais ça en fait une des plus grandes roselières du Lot-et-Garonne » souligne l’animateur.

Zone prisée des paludicoles

En raison de ces zones humides, la probabilité de présence d’oiseaux paludicoles est forte : « rousserolles effarvattes ou encore phragmite des joncs les fréquentent. Ils font des sauts de puce pour se nourrir, migrent ici deux ou trois jours puis repartent ».

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La mesure de l’aile de l’oiseau, permet, sur certaines espèces, de déterminer le sexe de l’individu.  ©Delphine Decourcelle – Le Républicain / Gilo Nature

Julien pose son matériel sur une table. Non loin, occupés et concentrés à leur mission : Marie, Claude et Pierre-Yves, les bagueurs du jour qui assurent le suivi de la station de baguage, entamé au 1er août 2023 et qui se poursuit jusqu’à la mi-octobre 2023, pour sa 38e saison.

Ce suivi mené à la réserve de l’étang de la Mazière, devenu un des sites majeurs d’étude de migration par la technique du baguage, est mené en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, l’Office Français de la Biodiversité (OFB), Faune, Flore, Futur (FFF).

baguage oiseaux
Une fois sorti du nid, quelle que soit l’espèce, un oiseau ne grandit plus, il garde la même taille tout au long de sa vie. C’est pourquoi des oiseaux juvéniles peuvent être bagués aussi et la taille, la forme, la couleur des bagues varient selon les espèces.  ©Delphine Decourcelle

Des dizaines et des dizaines de milliers d’oiseaux ont été ainsi bagués à Villeton, dont près de 5000 l’année dernière.

Au fil des semaines, des salariés, de nombreux aides-bagueurs et bénévoles expérimentés, venus parfois des quatre coins de la France, se relayent pendant deux mois et demi.

« Ils ont démarré très tôt ce matin. Les filets sont ouverts depuis le lever du jour jusqu’à environ 10h et les tournées sont très régulières pour ne pas laisser les oiseaux dedans trop longtemps. »

Une année, nous avons retrouvé une mésange charbonnière, baguée par nous-mêmes ici 8 ans auparavant

Julien Roi, animateur nature

Certaines journées, il peut y avoir « plusieurs centaines d’oiseaux, la semaine dernière on en a eu 70 et on a compté 18 espèces différentes » indique Julien. Et de rappeler que cette « pratique est bien sûr interdite sans autorisation, que toutes les espèces sont protégées et que les animaux sont relâchés après avoir été bagués ».

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La bague entoure mais n’écrase pas le tarse (partie de la patte) de l’oiseau.  ©Delphine Decourcelle – Le Républicain / Gilo Nature

Le baguage est « la principale méthode pour suivre les oiseaux dans leur environnement naturel et il met en évidence plusieurs aspects des migrations ».

Mais, insiste l’animateur nature : « l’activité scientifique ne doit pas endommager l’animal. Les filets ont été conçus spécifiquement pour cette activité et ils ne sont pas vulnérants. Il faut toujours penser au bien-être animal ».

Pratique règlementée

Il en est de même concernant les gestes pour les manipuler, très précis : « Il faut être très délicat. Même avec la meilleure volonté du monde, si on vous faisait essayer aujourd’hui de le prendre dans vos mains, vous risqueriez de tuer l’oiseau. Pas directement mais vous pourriez lui froisser une aile ou lui casser une patte. Et un oiseau blessé est un oiseau condamné » explique Julien.

Une activité scientifique

Personne n’est donc autorisé à toucher les oiseaux parmi les visiteurs. « C’est un soulagement car quand j’ai vu comme c’est si petit, si fragile, j’aurais eu trop peur de leur faire mal » confie l’un d’eux. 

Une mésange charbonnière.
Une mésange charbonnière. ©Abel Agnès – Le Républicain Sud-Gironde – GILO Nature

Chaque année à la Mazière, 500 mètres de filets à mailles fines sont tendus sur la réserve, pour quelques heures en matinée, comme ici au moment de la migration post-nuptiale. Il faut savoir qu’un oiseau migrateur « vit entre trois et cinq ans et car il court des risques sur son trajet (vent, maladie, parasites, prédateurs…) ». 

Mais, note Julien, « une année, nous avons retrouvé une mésange charbonnière, baguée par nous-mêmes ici huit ans auparavant, ce qui signifie que certaines espèces peuvent vivre plus longtemps que d’autres, même si en majorité c’est moins longtemps ».

Les migrateurs volent souvent de nuit, seul ou en groupe

Julien Roi, animateur nature

Les oiseaux migrent deux fois, au printemps et à l’automne. Quelle est la raison principale de ces mouvements ? « On pourrait croire, signale Julien, que c’est pour chercher la chaleur mais le froid ne dérange absolument pas les oiseaux. En revanche, s’il n’a pas suffisamment de nourriture, pour alimenter sa capacité à créer de la graisse afin de résister au froid, il sera obligé de migrer. »

Une sarcelle d'hiver est une espèce de canard qui commence à arriver fin août sur notre territoire.
Une sarcelle d’hiver est une espèce de canard qui commence à arriver fin août sur notre territoire. ©dennisjacobsen – stock.adobe.com

Leur parcours en cette saison : « ils viennent en majorité du Nord de l’Europe puis, en passant par chez nous, ils se rendent au Sud vers la péninsule ibérique (Espagne, Portugal) pour y passer l’hiver, ou ils passent le détroit de Gibraltar puis la Méditerranée. Certains sont même transsahariens et vont jusqu’au Congo, etc, vers le Sud de l’Afrique de l’Ouest. Ce sont vraiment de grands voyages ! »

« Une année, raconte Julien, nous avons eu une Locustelle de Pallas, passereau qui vit au Moyen-Orient. En France, c’était le tout premier relevé en main de l’oiseau vivant. Tempête, désorientation… que faisait-il chez nous ? Mystère… ! »

De grands voyages

Et il arrive même de constater des migrations plutôt Est-Ouest : « nous avons déjà eu des rousserolles qui avaient été baguées en Croatie, Ukraine ou Slovénie… mais cela reste tout de même anecdotique ». Les milans noirs et les martinets « sont partis les premiers ; fin août/début septembre, ce sont les hirondelles qui vont commencer à s’activer ».

Le milan noir est un rapace migrateur.
Le milan noir est un rapace migrateur. ©Abel Agnès – Le Républicain Sud-Gironde -GILO Nature

Question d’un visiteur : « On dit que certains ne vont plus migrer, est-ce que c’est vrai ? » L’animateur de la Mazière répond par l’affirmative : « effectivement, en raison des dérèglements climatiques, on s’est aperçu par exemple que les cigognes restent en bord de Loire toute l’année, car elles y trouvent à manger tout le temps (leur avantage aussi : elles mangent de tout) et que les hivers sont moins rigoureux. »

Une cigogne a été dévorée par les lions au parc Pairi Daiza, en Belgique.
Des cigognes restent en bord de la Loire toute l’année et ne migrent plus. ©Illustration/Pixabay

A noter : la majorité des migrateurs volent de nuit et certains voyagent seuls, ou en groupe, comme les hirondelles. La bague, « très légère et qui n’empêche pas l’oiseau de voler », est un peu sa carte d’identité.

Au numéro unique qui lui est attribué correspond une fiche avec divers renseignements comme la date, le lieu et l’heure du baguage, le nom de l’espèce, le sexe, l’âge, la longueur de l’aile, du tarse, l’adiposité, la masse, l’état sanitaire, le nom du bagueur, etc. Ces données sont partagées au niveau international.

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Le baguage permet aussi de suivre des populations d’oiseaux non migrateurs, comme le cisticole des joncs sur cette photo. ©Delphine Decourcelle -Le Républicain / Gilo Nature

Et finalement en cette matinée, neuf espèces recensées, sous nos yeux impressionnés et émerveillés de voir de si près ces tout petits oiseaux, qui vont pour certains parcourir plusieurs milliers de kilomètres ! Bon séjour et bon vent à ceux croisés ce jour-là : pipit des arbres, martin-pêcheur, phragmite des joncs, caille des blés, cisticole des joncs, fauvette grisette, fauvette des jardins, hypolaïs polyglotte, rousserolle effarvatte

Le baguage fête ses 100 ans en France

En France, le premier suivi d’oiseaux par baguage date de 1923, il y a donc 100 ans cette année. Mais c’est plus tôt, en 1899, que le premier oiseau (un étourneau sansonnet) a été bagué, par le zoologiste danois Mortensen.

Depuis 1923, plus de 6,3 millions d’oiseaux ont été bagués en France et plus de 350 000 oiseaux sont ainsi identifiés chaque année dans l’Hexagone et dans les territoires d’outre-mer.

Un anneau en métal

Le baguage consiste à poser un anneau en métal (aluminium, acier ou monel) sur la patte de l’oiseau, plus précisément sur le tarse ou le tibia.

Sur l’anneau sont gravés le code de sa centrale de baguage, qui a supervisé l’opération, et un numéro unique, l’identifiant de l’oiseau.

Baguage des oiseaux à La RNN de la Mazière à Villeton (47).
L’anneau posé sur un oiseau est très léger (environ 30 milligrammes) pour les plus petits oiseaux, soit moins de 0,2% de leur poids. ©Delphine Decourcelle -Le Républicain / Gilo Nature

Chaque pays dispose d’une centrale de baguage. En France, c’est le Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’oiseaux (qui dépend du Muséum national d’Histoire naturelle).

Le système de baguage, lui, est international. Les anneaux posés sur les oiseaux sont très légers. Ils pèsent environ 30 milligrammes pour les plus petits oiseaux (15 à 20 g), soit moins de 0,2 % de leur poids.

Comment devenir bagueur ?

Pour réaliser l’activité scientifique du baguage, il faut disposer d’un permis qui s’obtient après plusieurs années d’observations et de formation. Il faut passer aussi deux examens, un théorique et un pratique. Après obtention, en cas d’erreur constatée et commise par un bagueur concernant le protocole à respecter, ce permis peut bien sûr lui être retiré.

Il existe aussi des aides-bagueurs bénévoles mais il faut être motivé car il faut y consacrer presque tout son temps libre (week-end, jours fériés, vacances…). Et le matériel — très règlementaire et spécifique afin de ne pas blesser les oiseaux

— est très coûteux et en tant que bénévole du coup, à vos frais.

“Pour l’achat des outils, il faut compter environ entre 1000 à 1500 €” précise Julien Roi, animateur nature à la RNN. Et “l’apprentissage des gestes et des connaissances sur les espèces est long et permanent” poursuit-il. Pour avoir

une idée, il existe 580 espèces d’oiseaux en France et 860 en Europe !

J’ai trouvé un oiseau bagué, que faire ?

Vous avez trouvé un oiseau portant une bague ? Voici ce que préconise la réserve naturelle de la Mazière, d’après les informations fournies par Pierre-Yves Henry, directeur du Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux (CRBPO) du Muséum national d’Histoire naturelle.

Le Muséum national d'histoire naturelle va acceuillir d'ici quelques années un centre européen de recherche en matière extraterrestre.
Le Muséum national d’histoire naturelle à Paris centralise toutes les données des baguages. ©Actu.fr

S’il est vivant et en bonne santé, ne le capturez pas car cela nécessite une autorisation spéciale. Mais si vous devez le manipuler (par exemple, pour le libérer d’un lien, ou le transférer vers un centre de sauvegarde de la faune sauvage car il est blessé), relevez la totalité des inscriptions sur la bague pour en informer le CRBPO (Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux/https://crbpo.mnhn.fr/).

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S’il est mort, prélevez l’anneau, aplatissez-le et envoyez-le par courrier au CRBPO. Joignez les informations suivantes : le code et le numéro gravés sur la bague, la date, l’heure, le lieu exact (et coordonnées GPS) et les conditions de la découverte, l’état du cadavre, l’espèce, le sexe et l’âge si vous les connaissez, ainsi que vos coordonnées pour le retour d’informations.

Vous pouvez également envoyer ces données par mail à : [email protected]

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