Pourquoi la Cour africaine devrait-elle compter pour vous ?

CRÉATION DE LA COUR

Le 9 juin 1998, les États africains réunis au Burkina Faso ont institué la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en adoptant le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Ce Protocole est entré en vigueur le 25 janvier 2004, après avoir été ratifié par plus de 15 pays.

Il a fallu encore quelques années pour que la Cour soit pleinement opérationnelle. La Cour siège à Arusha (Tanzanie) et se compose de 11 juges de tout le continent. Les premiers juges ont été nommés en 2006 et la Cour a enfin pu recevoir les premières requêtes en 2010.

La Cour a pour mission de protéger, promouvoir et défendre les droits humains inscrits dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, principal instrument du continent africain dans ce domaine. Pour ce faire, elle interprète les dispositions de la Charte et juge les États africains qui sont soupçonnés d’avoir violé ces droits.

En mars 2023, 34 des 55 États membres de l’Union africaine étaient parties au Protocole.

MANDAT DE LA COUR

La Cour a pour mission de protéger, promouvoir et défendre les droits humains en interprétant et en appliquant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que le Protocole portant création d’une cour africaine et les autres instruments relatifs aux droits fondamentaux que les États concernés ont ratifiés. Elle peut être saisie dans deux cas de figure.

Procédure à l’encontre d’un ou de plusieurs État(s)

La Cour est compétente pour recevoir des requêtes formées à l’encontre d’un ou de plusieurs État(s) selon lesquelles le ou les État(s) en question auraient violé les droits d’une ou de plusieurs personne(s), d’une collectivité ou d’une population. Dans ce cas, la Cour examine l’affaire en tenant compte des arguments avancés par le, la ou les requérant·e(s), le ou les État(s) concerné(s) et parfois d’autres intervenants. Elle rend ensuite une décision motivée, en expliquant en quoi les faits portés à sa connaissance constituent ou non une violation des droits humains. En cas de violation, la Cour ordonne à l’État concerné de prendre des mesures particulières pour remédier au problème, par exemple de modifier la loi ou d’indemniser les victimes. C’est ce qu’on appelle la compétence contentieuse. [voir des exemples]

Avis consultatifs

La Cour peut également recevoir des demandes d’avis consultatif. Il s’agit de questions soumises aux juges sur toute problématique juridique liée à la Charte africaine ou à d’autres instruments pertinents dans le domaine des droits fondamentaux. Quand elle reçoit une telle demande, la Cour analyse la question et formule un avis consultatif pour orienter les États dans l’interprétation ou l’application du droit en l’espèce. Bien que ces avis ne s’adressent pas à un État en particulier, ils peuvent aboutir à des changements concrets ayant un retentissement à l’échelle continentale. Dans ce cas de figure, la Cour joue un rôle consultatif.

exemples d’affaires

Burkina Faso

Justice pour l’homicide illégal de l’éminent journaliste Norbert Zongo

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mali

Lutte contre les mariages précoces et les mariages forcés

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KENYA

PROTECTION D’UN PEUPLE AUTOCHTONE

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TANZANIE

JUSTICE POUR UN IMMIGRÉ MALTRAITÉ PAR LE SYSTÈME JUDICIAIRE ET CARCÉRAL

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Avis consultatif

DEMANDE D’ABROGATION DES LOIS SUR LE VAGABONDAGE DANS 28 PAYS

Cet avis pourrait entraîner une amélioration considérable de la protection des personnes les plus vulnérables dans les rues.
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TANZANIE

REMISE EN QUESTION DE LA PEINE CAPITALE OBLIGATOIRE DANS L’AFFAIRE DE CINQ CONDAMNÉS À MORT

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SAISINE DE LA COUR PAR DES INDIVIDUS ET DES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES (ONG)

Déclarations déposées par des États en vertu de l’article 34, paragraphe 6

Pour que des individus et des ONG puissent saisir directement la Cour africaine, les États concernés doivent les y avoir autorisés. La simple ratification du Protocole portant création d’une cour africaine ne permet pas à des personnes de demander réparation à un État devant la Cour. Seuls les autres États et la Commission africaine peuvent engager une procédure à l’encontre de cet État, ce qui arrive rarement.

Toutefois, les individus et les ONG peuvent saisir eux-mêmes la Cour si l’État concerné, en plus d’avoir ratifié le Protocole, a déposé une déclaration en vertu de l’article 34, paragraphe 6, permettant ainsi un accès direct.

En mars 2023, seuls 8 des 34 États ayant ratifié le Protocole (sur les 55 États membres de l’Union africaine) avaient déposé une « déclaration 34(6) » autorisant les individus et les ONG à introduire des requêtes devant la Cour : le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Malawi, le Mali, le Niger et la Tunisie.

COMMENT INTRODUIRE UNE REQUÊTE

Il faut impérativement que la personne ou l’ONG qui souhaite saisir la Cour africaine ait épuisé au préalable toutes les voies de recours au niveau local. En effet, la Cour siège en dernier ressort. Autrement dit, la personne ou l’ONG concernée doit d’abord tenter d’obtenir justice auprès des tribunaux de son propre pays, y compris en interjetant appel et en portant l’affaire jusqu’à la plus haute juridiction nationale, si possible. Ce n’est que si elle estime que les tribunaux nationaux n’ont pas permis de réparer l’injustice dont elle a été victime qu’elle peut saisir la Cour africaine.

Les autres critères de recevabilité figurent à l’article 56 de la Charte africaine. En résumé, elle doit :

  • indiquer qui est le plaignant (même s’il demande l’anonymat)
  • être déposée dans un délai raisonnable après épuisement des voies de recours devant les juridictions nationales
  • ne pas être écrit dans un « langage désobligeant ou insultant »
  • ne pas être basé exclusivement sur les nouvelles des médias de masse
  • ne pas être déjà réglé par un autre tribunal international

EN RÉSUMÉ, LA REQUÊTE DOIT REMPLIR PRINCIPALEMENT LES SIX CRITÈRES CI-APRÈS :

Épuisez d’abord tous les recours devant les tribunaux de votre propre pays
Assurez-vous que votre affaire n’est pas déjà soumis à un autre tribunal international
Soumettre ensuite la plainte à la cour africaine dans un délai raisonnable
Indiquez qui vous êtes
N’utilisez pas un langage désobligeant ou insultant
Ne baser pas votre plainte exclusivement sur des informations provenant des médias

FONCTIONNEMENT DE LA COUR

Informations générales

La Cour se réunit au moins quatre fois par an. Ces sessions dites ordinaires se tiennent généralement en mars, juin, septembre et décembre. Chacune dure environ quatre semaines. Lors de ces sessions, les juges examinent les arguments qui leur sont présentés, convoquent parfois des audiences pour entendre des arguments supplémentaires et délibèrent. Chaque session s’achève par le prononcé d’une décision dans plusieurs affaires.

La Cour peut décider de se réunir plus souvent, en sessions extraordinaires. C’est le cas notamment lorsqu’elle doit statuer sur une question urgente ou qu’elle a de trop nombreux dossiers en instance.

Le nombre de requêtes reçues et traitées par la Cour varie d’une année à l’autre. Selon ses propres chiffres, la Cour avait reçu 330 requêtes en mars 2023, dont 172 sur lesquelles elle avait statué et 158 encore en instance, ainsi que 15 demandes d’avis consultatif, qui avaient toutes été traitées. Sur les 172 affaires closes, la moitié ont été jugées irrecevables car les requêtes ne remplissaient pas les critères établis et l’autre moitié ont été examinées sur le fond. Au total, la Cour a déclaré des États responsables de violations des droits humains dans plus de 60 affaires, qui portaient sur des questions comme le droit à un procès équitable, le droit à la liberté d’expression, le droit de ne pas être discriminé, le droit de ne pas être traité de manière inhumaine ou dégradante, le droit de participer à la vie politique de son pays, le droit au travail, etc. [voir des exemples]

Difficultés rencontrées par la Cour

Bien que la majorité des États aient ratifié le Protocole portant création d’une cour africaine, peu d’entre eux ont déposé la « déclaration 34(6) » permettant aux individus et aux ONG de saisir directement le Cour, ce qui constitue un obstacle de taille. En effet, cela limite considérablement la compétence de la Cour et empêche donc celle-ci de protéger efficacement les droits fondamentaux sur l’ensemble du continent. En mars 2023, seuls 8 des 34 États ayant ratifié le Protocole (sur les 55 États membres de l’Union africaine) avaient déposé une « déclaration 34(6) » autorisant les individus et les ONG à introduire des requêtes devant la Cour : le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Malawi, le Mali, le Niger et la Tunisie.

Le faible taux d’application des décisions de la Cour est également un problème. En effet, dans de nombreuses situations, les États retardent la mise en place des mesures que la Cour a ordonnées pour remédier à des violations des droits humains. Les organes politiques de l’Union africaine ne se montrent pas suffisamment volontaristes s’agissant de veiller à ce que les États donnent rapidement suite aux décisions de la Cour, qui revêtent un caractère contraignant.

Certains États sont même allés jusqu’à retirer leur « déclaration 34(6) » en réaction à des décisions de la Cour qui leur déplaisaient. Le Rwanda l’a fait en 2016, la Tanzanie en 2019, le Bénin et la Côte d’Ivoire en 2020. Ces attaques contre la Cour elle-même ont marqué un véritable retour en arrière en matière de protection des droits humains sur le continent et pour les personnes concernées, qui ont ainsi été privées d’une voie judiciaire qu’elles avaient auparavant été autorisées à emprunter. Espérons que la tendance s’inversera à l’avenir et que de plus en plus d’États seront attachés à la mise en place d’un système solide de protection des droits fondamentaux en Afrique.

AUTRES INFORMATIONS

RELATIONS AVEC LA COMMISSION DE BANJUL

La Cour africaine et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (également appelée « Commission de Banjul ») sont complémentaires. Ces organes de l’Union africaine, bien que distincts, sont chargés tous les deux de protéger et de promouvoir les droits humains en Afrique. La Commission surveille la mise en œuvre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples par les États et établit des normes relatives aux droits fondamentaux. Elle remplit une fonction quasi-judiciaire, ce qui signifie qu’elle peut recevoir des requêtes introduites par des individus et adresser des recommandations aux États sur des affaires en particulier.

La Cour africaine a été créée pour compléter et renforcer cette fonction. Cependant, à l’inverse de la Commission, elle est un organe judiciaire qui peut recevoir des plaintes relatives à des violations présumées de la Charte et rendre des décisions contraignantes pour les États. Les modalités concrètes de la complémentarité entre les deux institutions sont régies par le Protocole portant création d’une cour africaine et le Règlement intérieur de la Cour. La Commission peut transférer une affaire à la Cour de sa propre initiative. La Cour peut entendre la Commission lors de l’examen d’une affaire. Celle-ci agit alors en tant que partie lorsqu’elle a transmis la requête à la Cour, ou en tant qu’expert (en qualité d’amicus curiae, ou « ami de la Cour ») dans tous les autres cas. La Cour peut également demander à la Commission de se rendre dans un État pour mener une enquête sur des points en particulier si cela est nécessaire dans le cadre d’une affaire en cours. Enfin, la Cour peut réviser la décision de la Commission sur une affaire.

RECOMMANDATIONS

1

Tous les États africains sont tenus de respecter, protéger et promouvoir les droits inscrits dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

2

Tous les États membres de l’Union africaine doivent ratifier le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une cour africaine des droits de l’homme et des peuples ;

3

Tous les États membres de l’Union africaine doivent déposer une déclaration en vertu de l’article 34, paragraphe 6, du Protocole afin de permettre aux individus et aux ONG de saisir directement à la Cour africaine

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