Je m’arrête ou je continue ?

  • Crédit : Olivia Laperrière-Roy

Dans chaque numéro de KMag, Marc Cassivi, chroniqueur pour la Presse+, signe un texte humoristique. Voici celui sur le langage des signes…entre coureurs !

J’ai croisé François, un collègue, en courant. Nous ne nous étions pas vus depuis des mois (de télétravail covidien). Je me suis arrêté. Lui aussi. Nous avons jasé un brin, puis nous avons poursuivi notre route.

En le quittant, je me suis demandé quelle était l’étiquette lorsqu’on croise en courant quelqu’un qu’on connaît. On s’arrête ou pas ? Ça tient à des signes très subtils qu’il n’est pas toujours évident d’identifier.

La dernière fois que j’ai croisé Yves, un autre collègue, je n’ai pas osé le déranger. Il était en pleine discussion avec un ami. La fois précédente, il a fini par se retourner lorsque je l’ai salué par son nom. Il m’a fixé un bref instant, interloqué, et m’a dit bonjour à son tour avant de repartir aussitôt. Le soir même, Yves m’a écrit pour savoir si c’était bien moi qu’il avait croisé plus tôt : « Avec ta barbe, je ne t’ai pas reconnu ! » C’est ça, ou le poids que j’ai pris pendant la pandémie…

J’ai toujours un moment d’hésitation lorsque je reconnais quelqu’un pendant une course. Je m’arrête ou je continue ? comme se demandait Plastic Bertrand. Si je m’arrête et que je contrains mon interlocuteur à faire de même, je cours le risque de le stopper dans son élan. S’il est sur une lancée, concentré sur son rythme, suis-je un obstacle de plus sur son parcours ? Certains n’ont peut-être pas envie qu’on les apostrophe alors qu’ils sont à bout de souffle, le visage rougi par l’effort, pour parler de la pluie et du beau temps. Si un coureur que je reconnais arrive en sens inverse à vive allure, un mardi ou un jeudi matin, je présume qu’il fait des intervalles et je ne l’embête pas avec mes états d’âme. Mais comment en être sûr ? Si je ne m’arrête pas, ai-je l’air bête ? Suis-je impoli ? Est-ce que je manque de savoir-vivre élémentaire ?

Il y a des méthodes intermédiaires. Nous pouvons ralentir sans nous arrêter, et offrir un simple salut, un clin d’œil, un geste de la main ou de la tête en guise de reconnaissance de l’autre. Ce qui est embêtant, c’est lorsque nous avons l’impression, a posteriori, que notre interlocuteur s’apprêtait à s’arrêter mais qu’il ne l’a pas fait en devinant que nous n’en avions pas l’intention. Ou, au contraire, qu’il a poursuivi son petit bonhomme de chemin alors que nous étions sur le point d’interrompre notre course.

Nous sommes alors laissés seuls à nous demander si nous valons la peine qu’un autre coureur s’arrête pour nous. Ou avec un sentiment semblable au malaise lorsque nous constatons, trop tard, que les salutations de cette personne de l’autre côté de la rue ne nous sont pas destinées à nous, mais à quelqu’un juste derrière nous… Nous baissons aussitôt le bras, faisant semblant que nous nous étirions, et nous souhaitons très fort que personne n’ait été témoin de notre petite humiliation.

« Merci de m’avoir donné le prétexte de cette pause ! » m’a dit François après notre brin de jasette. C’est tellement plus simple quand on se comprend bien.

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Marc Cassivi est chroniqueur pour la Presse+.